- FUGGER (LES)
- FUGGER (LES)Puissance d’argent représentative du capitalisme du XVIe siècle, les banquiers Fugger, citoyens d’Augsbourg, ville d’Empire située dans l’actuelle Bavière, définissent une dynastie et un type d’exploitation familial; ils ont connu un destin dont les différents aspects justifient leur place dans l’histoire européenne. Grands collectionneurs de livres, de curiosités, de pièces d’orfèvrerie, amateurs de produits exotiques, de tapisseries, de pierres précieuses, ils unissent, au gré de leur tempérament, le sens de l’investissement durable, le goût du décor indispensable au crédit, l’appétit de vivre qu’illustrent cuisines, salles à manger, carrosses, équipages et livrées. Entourés d’une clientèle d’artistes et d’écrivains, ils traduisent les aspirations d’une classe sociale, celle des grands bourgeois de l’humanisme et de la Renaissance.Enserré dans la trame complexe où s’enchevêtrent questions financières, politiques, commerciales et culturelles, d’une durée relativement brève, réalisant un destin et créant une légende, le «siècle des Fugger» s’intègre de façon intime à la mythologie allemande et à l’histoire de l’Europe du XVIe siècle.Les originesArrivé à Augsbourg en 1367, en qualité de tisserand, l’aïeul, Jean, originaire de Graben, localité voisine, acquiert le droit de cité et ouvre un commerce de fils, laines et tissus. L’un de ses enfants, Jacob, dit Jacob l’Ancien, développe son affaire et, quand il meurt, en 1469, laisse un commerce florissant de laines, cotons, futaines, soieries, épices et drogues. Trois de ses fils, Ulrich, Georges et Pierre, lui succèdent; deux autres, Marc et Jacob, se destinent à l’Église; à la mort de Pierre, en 1473, Jacob abandonne les ordres et prend l’affaire en main: il sera Jacob le Riche, illustrant la branche des Fugger au Lys (von der Gilge ). N’ayant pas d’enfant, il associe ses neveux, Ulrich II et Jérôme, fils d’Ulrich I, et Raymond et Anton, fils de Georges; la raison sociale devient «Jacob Fugger et les Fils des Frères». Obligation est faite aux descendants mâles de maintenir en commun le patrimoine, des dots indemnisent les filles qui ont épousé de riches marchands d’Augsbourg, la maison Fugger doit demeurer «une» en toutes circonstances: c’est le secret de sa force.L’ascension: Jacob le RicheMaître absolu de la firme, Jacob le Riche unit l’expérience de Rome, première place financière du monde, et de Venise, première place commerciale, siège du Fondaco dei Tedeschi. Outre les tissus et les épices, il entreprend le commerce des métaux et, au Tyrol, supplante, auprès de l’archiduc Sigismond, le Bavarois Baumgartner, de Kufstein. Après l’abdication de Sigismond (16 mars 1490) en faveur de l’archiduc Maximilien, roi des Romains depuis 1486, fils de l’empereur Frédéric III auquel il succède en 1493, Jacob consolide ses positions et définit la politique de sa maison: l’alliance avec les Habsbourg. Banquier de Maximilien, créant une succursale à Anvers, installé dans le comté de Kirchberg et la seigneurie de Weissenhorn que lui a cédés l’empereur, Jacob trouve en Hongrie, où la paix de Presbourg vient d’être signée (1491), une terre pionnière. Il s’associe avec Jean Thurzo, propriétaire d’établissements miniers, mais sans capitaux, et s’assure le monopole du commerce de l’argent et du cuivre. En 1499, pour éviter la surproduction, les Fugger fondent avec leurs concurrents d’Augsbourg un consortium destiné à contrôler le marché de ces métaux aussi bien à Venise, alors affaiblie par l’insurrection des Mamelucks en Égypte, qu’à Dantzig, débouché sur la Baltique, et à Anvers, où s’ouvrent pour les épices les routes nouvelles.L’élection impériale de 1519, où Jacob, grâce à un prêt de 540 000 florins rhénans, décide du sort de Charles d’Espagne qui devient Charles Quint face à son rival François Ier, rend plus étroits les rapports entre les Habsbourg et les Fugger. L’Europe entière leur devient un marché, y compris l’Espagne, les Pays-Bas et le royaume de Naples. L’appui de l’empereur est décisif dans la lutte que Jacob doit mener sur deux fronts: l’un pour repousser les attaques de l’opinion et des diètes d’Empire contre les grandes sociétés dites à monopole, l’autre en Hongrie où le «parti national» qu’entraîne Étienne Zapolya obtient du roi Louis la condamnation de la firme Fugger-Thurzo et l’annulation des dettes de la couronne envers eux. Jacob mobilise ses amis, le blocus du cuivre hongrois est instauré. Un compromis est signé par l’intermédiaire du nonce. Jacob ne jouit pas de son succès, il meurt en pleine gloire, à soixante-six ans, le 31 décembre 1525, avant la mort de Louis de Hongrie, battu par les Turcs à Mohács (29 août 1526).Anton, «le prince des marchands»Homme de la seconde génération, Anton prend à trente-deux ans la direction de l’affaire. Il a été formé, de même que son frère Raymond, par la méthode classique d’apprentissage commercial: séjour dans les comptoirs de Breslau dès 1512, puis de Bohême et de Hongrie, à Rome enfin où le comptoir des Fugger est devenu, au début du XVIe siècle, la banque des princes et hauts dignitaires ecclésiastiques d’Allemagne. Par eux et leur agent Jean Zink, le trafic des prébendes et celui des indulgences se sont développés à l’échelle internationale avant que ne s’élève en Allemagne la protestation de Luther (1517). Les Fugger ont supplanté les Florentins pour la tenue de la ferme de la monnaie pontificale. Ces activités romaines connaissent un déclin après le sac de Rome par les troupes de Charles Quint (1527). Anton reprend en main les différents éléments de l’entreprise bancaire, minière et commerciale par l’intermédiaire des «facteurs» dont il coordonne l’action à Vienne, Leipzig, Breslau, Nuremberg, Francfort-sur-le-Main dont les foires sont en pleine expansion, Cologne et surtout Anvers dont la Bourse est la grande régulatrice du crédit, où se négocient les emprunts de l’empereur, où s’opèrent les transferts de fonds d’Espagne vers les Flandres et la haute Allemagne.L’alliance avec les Habsbourg est à double tranchant: d’une part, elle est nécessaire au banquier dans les luttes qu’il mène contre les Höchstetter pour le cuivre de Bohême ou le monopole du mercure, contre les autres maisons d’Augsbourg pour l’exploitation de l’argent tyrolien, la pénétration dans le Nouveau Monde – au Venezuela, en association momentanée avec les Welser de Nuremberg –, la mainmise en Espagne sur les droits régaliens et les monopoles fiscaux; d’autre part, elle ne permet pas à Anton, ou à ses agents, notamment celui d’Anvers, de résister efficacement aux pressions financières qui s’exaspèrent avec la guerre contre la France, la ligue de Smalkalde et les Turcs: la monarchie commerciale et bancaire des Fugger semble doubler l’empire politique des Habsbourg. La maison se transforme. Anton conduit seul la firme au milieu de la complexité des affaires politiques, religieuses et internationales. Il est mêlé de près ou de loin à toutes les luttes impériales; les bilans successifs montrent l’importance croissante prise par les affaires d’Espagne, de Hongrie, les créances sur Anvers (la ville, les États de Flandre, le roi d’Angleterre, le roi du Portugal); les lettres des Fugger font l’objet à Anvers d’un trafic constant, le monde entier les considère comme aussi sûres que l’or et Anton est qualifié par Lodovico Guicciardini de «prince des marchands». Mais après 1555 la situation se modifie. L’augmentation inconsidérée du volume du crédit à Anvers, la liaison trop étroite avec les affaires politiques, l’abdication de Charles Quint rendent les Fugger très sensibles à la crise financière de 1557. Suspendant le remboursement des créances en Espagne et aux Pays-Bas, Philippe II confisque deux envois d’argent destinés aux Fugger. C’est le début des difficultés pour la firme. Anton meurt en 1560.Le déclinL’esprit d’entreprise disparaît avec Anton. Ni les nouvelles circonstances économiques – Augsbourg est entrée dans l’«ère des grandes faillites» –, ni le caractère des héritiers ne se prêtent à une politique d’envergure. Hans Jacob, qu’Anton a désigné pour lui succéder, est écarté et meurt à Munich. Marx, fils aîné d’Anton, reprend l’affaire en homme prudent; associant les fils d’Anton, la firme devient «Marx Fugger et ses Frères», la vie de l’entreprise est rythmée par le jeu des faillites espagnoles, celle de 1557 qui atteint toute l’Europe et contraint les belligérants à la paix, celle de 1575 suivie du sac d’Anvers, l’année suivante, et de la chute de la place financière, celles de 1607, de 1627, de 1647 en pleine guerre de Trente Ans. À la fois banqueroute et réduction de dettes, ces opérations entraînent pour les banquiers des pertes importantes. Périodiquement, le pouvoir renouvelle ses demandes de fonds et, pour obtenir le paiement des créances antérieures, la banque doit les accepter en partie. Les transferts de fonds hors d’Espagne deviennent difficiles, la confiance s’amenuise, la guerre des Pays-Bas engloutit les ressources de la monarchie de Madrid. Sur les grandes places financières se dessinent les linéaments d’un monde nouveau dominé par les banquiers génois. «La richesse des Fugger est imaginaire», écrit alors Octavio Centurini. La famille, composée d’une centaine de personnes, subit les conséquences des dettes contractées par les Habsbourg. Ses activités, depuis longtemps limitées aux domaines fonciers, se restreignent encore après la troisième faillite espagnole, après l’inflation du billon et les premiers ravages de la guerre de Trente Ans qui rompt les circuits commerciaux. Favorisés par la règle d’inaliénabilité du patrimoine, élevés à la noblesse par les empereurs, les descendants des bourgeois d’Augsbourg, administrateurs tatillons, s’insèrent dans le régime seigneurial.Ascension, apogée, déclin, trois éléments qu’unit un style de vie. À l’existence besogneuse des premiers Fugger a succédé, dès Jacob le Riche et surtout avec Anton et ses successeurs, la vie fastueuse du grand négociant de la Renaissance, comte d’Empire, banquier du monarque et du pape, premier à Augsbourg sinon à Vienne, à Anvers et à Francfort.
Encyclopédie Universelle. 2012.